Le silence.
Ce terrifiant silence, précédé par un gémissement de souffrance et un léger son de lame. Le silence qui indique que tout est terminé. Même le vent, le courant du fleuve, les insectes nocturnes semblaient se taire à chaque fois que cela se produisait, à chaque fois que Nedraël faisait glisser le tranchant de sa lame contre la gorge d'une cible sous les ordres de son employeur.

Quelques pièces d'or, quelques gorgées de sang prélevées à la source. Avec le reste du sang qui coulait de la plaie, l'agent remplira deux petites fioles avant de se débarrasser du corps dans le fleuve. C'était ainsi que Nedraël subsistait depuis plus d'un siècle. Mais son amour de la mort, grandissant de jours en jours, la poussait à aller plus loin. Elle voulait arrêter de jouer les détrousseurs et voir ce qui se passe à la Baie-du-Butin. Mais pour cela il faudrait qu'elle paraisse sympathique ou du moins qu'elle parle à quelqu'un, au moins, avant de le tuer. Cela faisait bien des années qu'elle n'avait pas parlé à un être vivant autre qu'à elle meme ou quelques animaux.

Elle était assise, au bord du fleuve, regardant le sang de ce pauvre bougre se mélanger avec l'eau tandis que le corps filait avec le courant. L'Agent était pensive, elle devait faire quelque chose de totalement paradoxal, et elle n'aimait pas les paradoxes. Elle savait qu'elle devait s'ouvrir aux autres pour mieux les poignarder dans le dos. La traîtrise ne lui posait pas de problème, elle avait renoncé à ses principes depuis des années. Mais il y avait quelque chose, de plus enfouit en elle, qui faisait qu'elle ne pouvait trahir ses proches. Elle se sentait seule.

C'est alors qu'elle entendit un bruit, non loin de là. Elle se leva et posa sa main sur l'arbalète de poing accrochée à sa ceinture.

- Vous allez le regrett...

Nedraël se reprit afin de peut être entamer une conversation avec un possible être vivant.

- Qu.. Qui est là ?

Suite à son expédition à travers les régions sud des Royaumes de l'Est, il n'était resté que trois jours dans la Marche de l'Ouest, le temps de prendre un peu la température auprès de quelques tribus Gnoll, avec plus ou moins de succès, se faisant généralement repousser. Il n'avait pas pu être mis au courant de quelconques tensions actuelles entre certaine tribus et s'était désintéressé de la région. Et même du pays. Sur un coup de tête, il avait décidé de galoper en direction du sud, dans la jungle de Strangleronce, et ainsi compléter sa collecte d'herbe pour concocter des breuvages et autres substances mortel... Il ne doutait pas que lui-même, Orc, serait traité comme un animal là-bas. Il ne comptait pas s'approcher des grandes villes et ne craignait pas d'être capturé par des humains ou des Trolls sauvage..

Le Fleuve coulait avec un tout petit peu de remous en cette fin de printemps. Les orages avaient balayé la région avant que Grull n'arrive à destination, et maintenant encore quelques averses subsistaient. Le fleuve perdait de son agitation après quelques crues. Ce point de repère fiable assurait de nombreux lieux idéaux pour la chasse, et la cueillette, un Orc n'eut aucune peine à trouver de quoi manger. Cette vie sauvage lui convenait parfaitement : il n'avait jamais été un grand adepte des villes et campement. Cependant, la solitude, elle, restait un fardeau certains jours.

C'est alors qu'il la vit. Cette silhouette encapuchonnée, près du fleuve. Grull pensa tout de suite à un Humain. Il s'approcha, l'arc dans le dos pour ne pas paraître hostile – il avait d'autres moyens de se défendre en cas de besoin. Il voulut tout d'abord s'assurer que cette personne était seule. Il faisait nuit, aussi Grull ne voyait-il pas bien. Obligé de s'approcher assez près pour examiner d'éventuelles traces de présences autres que celles de cette personne, il fut repéré.

C'est une voix de femme...non enfaite une elfe, aux longues oreilles... vêtu de noir, qui commença à prononcer une menace en langage commun mais se coupa net, pour finalement demander d'un ton plus hésitant qui était là. Grull comprenait clairement la langue commune utilisée après l'avoir étudié et entendu, bien que celle-ci comprît un léger accent Darnassien. Il se détacha de la végétation pour se présenter à l'elfe. Assez jeune, au son de sa voix. La hallebarde de l'Orc  barrait son dos large comme le tronc d'un vieux chêne. Il s'approcha à trois mètres d'elle et s'arrêta, en jetant quelques coups d'œil aux alentours.

Grull – Vous êtes seule ?

Qu'est-ce que c'est que ça ?

Nedraël vit sortir de l'ombre un grande silhouette verte. Elle fit un pas en arrière avant de reconsidérer la situation, elle avait déjà entendu parler des Orcs. Ces créatures large et imposante, mais elle n'en avait pourtant jamais rencontré encore dans la région..

- Vous êtes seule ?

L'Orc paraissait aussi méfiant qu'elle, à vrai dire. Peut être pensait-il à une embuscade dont Nedraël servait d'appât. La question, aussi anodine soit-elle, avait vexé Nedaël. Elle ne savait pas ce qui lui empêchait de planter un carreau entre les deux yeux de l'Orc. Mais elle se retint et se contenta de répondre, d'un ton méprisant :

- N'ai-je pas l'air assez forte pour vous ? Comment avez-vous appris le langage commun Orc ?

Elle s'approcha un peu plus de son interlocuteur afin d'appuyer ses paroles.

- Vous pensez que j'ai besoin d'une troupe de mercenaire pour pouvoir tuer une seule créature ?

Quand elle fut assez près de l'Orc, elle dégaina rapidement une de ses dagues et mima une attaque rapide. Sa lame s'arrêta à un cheveu de la peau de l'Orc. Elle regarda son visage et ajouta :

- Mieux vaut ne pas sous-estimer les jeunes filles armées que l'on rencontre au beau milieu de la nuit.

Elle rangea sa dague et s'éloigna de nouveau de l'Orc pour se rasseoir au bord du fleuve. Un orc et une elfe, Nedraël aimait le danger, et elle souhaitait cette fois causer avant de tuer sa prochaine victime...

L'elfe le dévisagea et il fit de même. Il ne voyait pas bien son visage, à cause de l'obscurité de la nuit et du capuchon. La tenue de l'elfe, au demeurant, semblait parfaite pour se dissimuler dans l'obscurité. En général, les personnages un peu louches dans ce genre ont quelques méfaits sur la conscience – s'ils ont une conscience. Grull avait commis plus d'un crime, et parmi les plus abjectes. Il n'en faisait aucun cas de conscience et ce serait une agréable rencontre que de parler à quelqu'un comme lui.

Nedraël – N'ai-je pas l'air assez forte pour vous ? Comment avez-vous appris le langage commun Orc ?

Le ton était grinçant, presque grincheux. La question de Grull trouvait au moins sa réponse, bien que d'une manière inattendue. L'elfe se rapprocha de lui et appuya :

Nedraël – Vous pensez que j'ai besoin d'une troupe de mercenaires pour pouvoir tuer une seule créature ?

Le ton virait presque à la menace. En tout cas, une chose était certaine : Grull l'avait vexée. Et pour une fois, il vexait quelqu'un sans que ce ne fût son intention ! Cette elfe prenait la mouche bien facilement. Grull eut un sourire en coin. Il aimait déjà cette assassine. Dommage que ce ne fût qu'une Elfe, d'habitude on a pas vraiment le temps d'échanger une seule phrase..

Il resta toutefois sur ses gardes : elle continuait de s'approcher de lui d'un air menaçant, et ça, par contre, il n'aimait pas plus que quiconque,il ne fit pas de pas en arrière, ne voulant pas lui faire croire qu'elle pouvait obtenir l'ascendant sur lui. Il surveilla ses gestes et anticipa le coup de dague rapide. Bien que simplement mimé, Grull le para de son énorme avant-bras, prouvant à l'elfe que même si elle avait réellement voulu l'égorger, elle aurait raté. L'orc se cabra et la repoussa de ses grosses mains.

Grull – Que crois-tu, Elfe ? Que tu peux me menacer facilement ? Si tu espères m'intimider, cesse tes efforts vains, je te le dis d'avance, je t'aurais déjà fichu mon hallebarde entre tes yeux.

L'elfe se rassit au bord du fleuve. Grull garda son sourire en coin, et après un bref instant de silence, s'approcha d'elle, gardant tout de même un mètre et demi entre eux deux.

Grull – J'ai appris le commun en ayant pris le temps d'en tuer plus d'uns.. Que cherches-tu à me prouver, mmh ? Tu sembles être quelqu'un qui a déjà souvent tué, je me trompe ? Donne-moi ton nom.. Estime toi heureuse je n'ai pas l'habitude de discuter avec vous..petite fille..ou plutôt jeune elfe je dirais.. A la vue de ces oreilles dépassant de son capuchon..

Malgré son physique bestial, cet orc n'était pas totalement dénué d'intelligence, il avait compris qu'il fallait craindre Nedraël, même s'il n'avait pas l'air si inquiet de la présence de l'assassine. Par contre, sa façon de parler lui déplaisait beaucoup . Elle se retourna vers son interlocuteur d'un air nonchalant :

- Nedraël. Mon nom est Nedraël. Peu importe mon nom de famille ou que je sois humaine ou elfe...mais il faut toujours se méfier des petites filles seule, elles cachent bien souvent leur jeu..

Elle se leva et ajouta :

- Tu sais, tu me plais bien, orc. Tu m'as l'air d'un bon combattant. Que dirais-tu que l'on fasse un bout de chemin ensemble, histoire de me raconter tes plus belles œuvres ? d'habitude tu prend pas le temps de discuter ? tu viens de le dire.

Pour Nedraël, tuer était un art. Par "œuvre", elle entendait "meurtre", "assassinat" voire "massacre" ou "génocide". C'était une chance pour elle d'avoir rencontré quelqu'un qui semblait avoir déjà tué et plus d'une fois. Si son retour en société avait commencé par une rencontre avec un être pacifique ou un de ces poivrot de marchands, Nedraël l'aurait déjà vidé de son sang.

Ses plus belles œuvres ? Les plus belles œuvres de Grull avaient été de commettre des crimes abjectes aux yeux d'un Humain ou d'une elfe, il n'était vraiment pas sûr que cela put intéresser une assassine. Cependant, cela pourrait être amusant de voir sa réaction en l'entendant s'en enorgueillir ; cette pensée lui dessina un sourire malsain.

Grull– Soit, je suis sûr que cela te plaira de les écouter.

Elle avait accueilli Grull en essayant de lui poser une lame sous la gorge – bien que Grull eût paré son geste. Quelle elfe de « bonnes mœurs » se comportait ainsi ? Il devait en savoir plus. Il ne savait pas encore à qui il avait affaire.

Grull – Mais avant tout, tu commence...

La conversation tourna donc autour d'elle bien si étrange soit-il entre une elfe assassine et un orc Herboriste muni d'une hallebarde...

Cet Orc n'était pas stupide comme Nedraël avait entendu dire de ces guerriers redoutables. Elle avait fait l'erreur de dire qu'elle avait plus d'un siècle de vie derrière elle. Sombre abrutie ... Elle ouvrit la bouche sans pouvoir sortir un mot en fuyant du regard, comme pour chercher une échappatoire de dernière minutes, puis elle abandonna.

Ces nombreuses années à se taire avait rendue Nedraël trop bavarde au sujet de son travail. Elle en disait trop. Elle dévoilait trop vite ses faiblesses. Grull pourrait en tirer profit, et ce serait le drame. L'elfe entendit un bruit, non loin. Un bruit de pas, sûrement un marchand ou un bandit. C'était une occasion rêvée de se rattraper par rapport à ce qu'elle venait de dire. Il fallait qu'elle prouve à l'orc que ce n'était pas une petite fleur fragile. Les pas se rapprochaient, il étaient très légers et pourtant très proches, plus que quelques secondes et la elle pourrait dévoiler son talent de chasseuse. Maintenant, c'était le bon moment.

- Excuse moi une minute.

Elle sortit son arbalète de poing, l'arma et visa derrière l'Orc. Dès que la cible potentielle fut visible, elle tira. Le carreau se planta dans le sternum du pauvre voyageur, produisant un craquement sonore et l'inconnu tomba, raide mort. Personne ne saura qui était ce pauvre bougre, et à vrai dire, Nedraël n'en avait cure. Elle rangea nonchalamment son arme et s'adressa de nouveau a l'Orc.

- Bref, où en étions nous ?

L'indifférence sur le visage de l'assassine était déconcertante. Elle jetait simplement quelques coups d’œil en direction du corps en se demandant s'il y avait quelque chose d'intéressant dans sa bourse.

L'Orc perçut un bruit de pas se rapprochant d'eux. Il ne devait y avoir qu'une seule personne, si ses oreilles fines ne le trompaient pas. Il tourna la tête, attendant que l'inconnu soit suffisamment proche pour être visible. Nedraël fut moins passive : elle fit signe à Grull de la laisser faire, arma son arbalète et visa. Grull haussa les sourcils, en se demandant pourquoi elle faisait cela, mais puisqu'il en fut amusé, il ne fit rien pour empêcher le futur crime. C'était la première fois qu'il rencontrait une efle aimant autant le sang que lui..

La personne apparut, un Humain de stature moyenne, sans armure, qui n'eut même pas le temps de regarder les deux personnes vers qui il avançait sans le savoir : le carreau d'arbalète fila droit dans son sternum, le tuant sur le coup. Nedraël rangea son arbalète, et le plus nonchalamment du monde, dit :

Nedraël – Bref, où en étions-nous ?

Whow. Juste : whow.
Cette Elfe venait d'abattre de sang froid et gratuitement un illustre inconnu qui passait par là, qui ne les avait même pas vus, qui n'avait pas dit un mot et n'avait rien fait du tout pour les contrarier. Juste comme ça. Le plaisir de tuer à l'état brut. Cet Humain venait d'être abattu pour rien. Rien du tout. C'était gratuit, bête, sans raison.
Grull en avait pas connues beaucoup dans sa vie des comme ça.., quoi qu'il en soit, ses agissements avaient aucune explication ce qu'il appréciait chez elle après tout... L'assassine ne gagnait strictement rien dans ce qu'elle venait de commettre.

Grull – Tu pourrais au moins aller le dépouiller, histoire de ne pas l'avoir tué pour rien.